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Le commissaire avait quitté son bureau et arpentait la salle principale du commissariat en mâchonnant son mégot de cigare éteint. Il avait réduit l’allumette en une sorte de bouillie qu’il titillait du bout de la langue. De temps à autre il stoppait sa marche pour se planter devant une grande glace encadrée d’or placée au-dessus de la cheminée. Il admirait l’ordonnance de ses cheveux pâles ; plats coupés court, rectifiait sa cravate sombre et chassait, à petites chiquenaudes, la cendre de cigare qui s’était écroulée sur ses revers. Il ne restait plus qu’un inspecteur dans le poste : un grand garçon maigre, à la mâchoire proéminente, dont le visage frémissait sous l’effet de tics nombreux. Chaque fois que le commissaire posait son regard sévère sur lui, l’homme se hâtait de rédiger des choses obscures sur des formulaires imprimés.
À la fin, le commissaire appuya sur le bouton d’un appareil interphone.
— J’écoute ! annonça une voix sèche.
— Sortez ma voiture !
— Tout de suite, herr commissaire.
Le policier avait un vestiaire dans son bureau. Il décrocha un manteau de cuir noir doublé de peau de chat. Lorsqu’il l’eut revêtu, il paraissait avoir doublé de volume. Il coiffa son feutre gris perle garni d’un large ruban noir et enfila ses gants fourrés. C’était un personnage menaçant et pittoresque.
Quand il sortit, sa Mercédès noire se trouvait devant le perron. Un policier se tenait au volant. L’homme avait bouclé se ceinture de sécurité. Le commissaire prit place à l’avant de la voiture.
— On traverse, dit-il seulement.
***
De l’autre côté du tunnel, ses hommes fourmillaient. Baumann, un inspecteur chef qui dirigeait les opérations, se précipita sur sa voiture lorsque celle-ci déboucha de l’ascenseur.
— Alors ? demanda le commissaire.
— Le fourgon n’a pas quitté le port, dit l’inspecteur chef en rectifiant la position.
Il avait le nez rouge, des yeux noyés dans une espèce de gélatine qui donnait à son regard une brillance écœurante.
— Comment le savez-vous ?
— Exceptionnellement, les patrouilles de la douane ont opéré des vérifications en fin d’après-midi. Les douaniers sont formels : aucun fourgon cellulaire n’est passé. De plus, l’un de mes hommes a recueilli le témoignage d’un marin hollandais, à moitié ivre, qui prétend avoir vu ledit fourgon traverser un chantier. Curieux, n’est-ce pas ?
— Il s’agit donc sans aucun doute d’une évasion, décréta le commissaire.
Il n’était pas mécontent de l’événement. Depuis plusieurs semaines un calme plat régnait à Hambourg et ses services accomplissaient une besogne paperassière des plus routinières.
— Qu’on diffuse le signalement de l’homme partout. Qu’on fasse des vérifications dans les gares et à l’aéroport. Qu’on visite les embarquements. Il faut fouiller ce quartier dock après dock. On n’a pas désintégré la voiture. Si elle n’a pas quitté le port, elle est certainement dans quelque entrepôt.
— Certainement, herr commissaire, j’ai déjà donné des instructions, Nos hommes explorent les ruelles, les impasses, les entrepôts…
— Parfait. J’exige du travail soigné. Demandez du renfort à l’hôtel de police. Que tout le port soit en état de siège. Je veux avant toute chose retrouver ce fourgon coûte que coûte.
— J’y vais, herr commissaire !
Le commissaire descendit de sa voiture. Il prit un nouveau cigare dans sa poche, mais il pleuvait dru et il préféra ne pas l’allumer. Il le glissa pourtant entre ses lèvres minces et se mit à le mâchonner voluptueusement.
Une évasion, cela plaisait toujours au public. C’était si spectaculaire ! Les journalistes ne tarderaient pas à accourir.
Il songea qu’il avait mis une chemise blanche le matin, et s’en montra satisfait. Pour les photos c’était préférable.
Il se mit à l’abri dans la guérite d’un gardien. Un fourgon cellulaire cela avait un volume considérable. Il ne devait pas être facile de le dissimuler.